Mme Fully, principale du collège Charles Péguy de Vauvillers, a accepté de nous parler de l’expérimentation “Silence, on lit !” qui est menée dans son établissement depuis septembre 2017 :
Depuis septembre 2017 les élèves et les personnels du collège Charles Péguy placent chaque jour un nouvel objet dans leurs cartables, sacoches ou sacs à mains : un livre.
En effet, chaque jour, au début de la 1ère heure de l’après-midi, les élèves et les adultes stoppent leurs activités et consacrent un quart d’heure à la lecture silencieuse. Ils choisissent un livre ou une bande dessinée. Les liseuses numériques, les journaux ou magazines n’entrent pas dans le projet.
Pendant 15 minutes la vie du collège s’arrête, le silence tombe sur l’établissement seulement rompu par le bruissement des pages qui se tournent.
Témoignage de Tifaine, 3ème : “Silence on lit c’est très bien, ça nous permet de nous re-concentrer après la pause de midi. Ça nous permet aussi d’approfondir notre lecture, moi je lisais jamais et depuis Silence on lit ça m’intéresse de plus en plus”
Mise en place dès le jour de la rentrée l’expérimentation avait été annoncée aux élèves et familles de tous les élèves après avoir été validée lors d’un conseil d’administration en mai 2017. Chacun, personnels du collège, parents d’élèves et élèves, a ainsi eu le temps de se préparer à son déploiement.
Les emplois du temps des professeurs et des classes ont également été aménagés afin que le quart d’heure de lecture silencieuse n’impacte pas chaque jour la même matière et également afin d’éviter les matières comme l’Art plastiques ou l’Education musicale.
En amont du déploiement de Silence on lit le fond du Centre de Documentation et d’Information avait bénéficié d’une dotation exceptionnelle : les élèves disposent ainsi de romans et bandes dessinées en nombre suffisant pour les accompagner dans leurs lectures. De même, plusieurs enseignants ainsi que l’équipe de vie scolaire ont réparti des livres dans les salles.
La mise en place de Silence on lit est liée à une conjonction de constats : l’impact de la ruralité sur les activités des élèves qui passent de nombreuses heures sur les jeux video, l’absence de livres au domicile de la grande majorité des élèves, les échecs répétés des collégiens au lycée, le nombre réduit de gros lecteurs, la difficulté que rencontrent les professeurs de Lettres de faire lire des œuvres intégrales, la durée réduite des facultés de concentration des élèves, …
Les objectifs de Silence on lit sont simples : ancrer une habitude dès le plus jeune âge pour qu’elle soit conservée à l’âge adulte, étayer la réussite des collégiens lors de leur entrée au lycée afin de consolider leurs parcours de lycéens, apporter une culture littéraire dans une zone géographique éloignée des centres culturels, construire la cohésion de groupe et le sentiment d’appartenance, aider les élèves à prendre possession de leurs espaces de vie en les réfléchissant sous le prisme de la lecture. Témoignage de Lucas, 4ème : “Je trouve que Silence on lit est un dispositif sympa car je suis dans une classe un peu bruyante et ce dispositif calme un peu la classe. Je pense que cela fait un peu de bien aux élèves car cela les fait lire au lieu de jouer aux jeux video. Cela permet de découvrir des livres et d’apprécier la littérature.”
En 3 mois de mise en oeuvre les effets de l’expérimentation sont étonnants : les oublis de livres sont de plus en plus rares, les élèves réclament leur moment de lecture quotidienne, ils l’ont intégré à leur emploi du temps, les discussions autour des livres commencent de fleurir dans l’établissement, les prises en charge des élèves lors des temps d’étude sont interrogés afin de favoriser la lecture, l’implication des adultes est de plus en plus complète. Et l’aménagement des espaces du collège commence d’être pensé en lien avec Silence on lit.
Un facteur essentiel de réussite de cette expérimentation est lié à son aspect collectif : le temps de lecture concerne les élèves mais aussi tous les personnels (enseignants ou non). L’injonction à lire s’impose à tous et tous s’y soumettent. Les élèves ne sont pas les seuls à faire l’objet d’une « obligation », la lecture s’adresse à tout le monde. Les adultes ne sont plus seulement les porteurs d’un discours de prescription, ils donnent l’exemple de la lecture par leur pratique en public et en sympathie avec les élèves.
Ce rituel quotidien rassemble la communauté par-delà les différences (statut, âge, classe, niveau scolaire, genre, etc.). Paradoxalement c’est le silence qui rassemble tout le monde et participe à la construction de la cohésion du groupe.
Témoignage de Lucile, 5ème : “Silence on lit est une vingtaine de minutes que nous consacrons à la lecture après le repas. Je me suis plutôt bien adaptée au concept et je n’y vois que des avantages, nous faire avoir plus d’intérêt pour la lecture, nous calmer avant de pouvoir reprendre le cours et bien d’autres.”
Ce dispositif articule l’échelon collectif et la liberté individuelle. Certes tout le monde se plie à la temporalité collective du moment de la lecture mais chacun est libre de s’évader dans la lecture qu’il souhaite. C’est une occasion de construire un lien social épanouissant : autonomie personnelle et appartenance collective. Etre à la fois avec les autres mais sans renoncer à son choix personnel. Et pour les élèves qui ont rencontré dans les livres un monde qui leur a plu, ils peuvent, une fois le moment terminé, chercher à partager leur découverte avec leurs camarades ou avec les adultes. La lecture devient le support de conversations plus largement que dans les conditions habituelles où elle a moins de visibilité publique et se trouve enfermée dans une sphère intime à laquelle ne pourront accéder que les ami(e)s les plus proches.
Témoignage de Thibaut, 3ème : “Silence on lit est vraiment une expérience de lecture enrichissante que l’on peut faire au collège, si on n’a pas le temps d’aller au C.D.I. ou dans un endroit calme. C’est comme un moment de repos.”
Les petits lecteurs font l’objet d’une attention particulière, que ce soit les élèves du dispositif U.L.I.S. pour lesquels des achats spécifiques ont été réalisés ou les élèves dyslexiques avec la recherche de livres adaptés. Il est primordial en effet que les élèves qui ne savent pas suffisamment lire ne soient pas doublement exclus par ce dispositif puisqu’ils s’ennuieraient durant la séance et parce qu’ils apparaîtraient comme « non-lecteurs » aux yeux de tous. Afin de ne pas être stigmatisés comme ne sachant pas lire, ces petits lecteurs peuvent s’impliquer dans des bandes dessinées. Le partenariat développé avec la bibliothèque municipale de Vauvillers permet d’ailleurs un enrichissement bienvenu du fond en bandes dessinés du C.D.I.
La question de la lecture sur écran s’est posée et le conseil pédagogique du collège ainsi que le conseil d’administration ont privilégié la forme papier. Dans l’opération « Silence, on lit ! », le collège encourage donc une forme particulière de lecture, celle de livres et surtout de fiction. La lecture de la presse et la lecture des écrans sont donc délaissées même si elles relèvent également de pratiques de l’écrit. Il s’agit de l’une des seules prescriptions des adultes auxquelles les élèves pourraient regretter de se soumettre, même si rien n’apparaît en ce sens dans leurs témoignages.
Chloé, 5ème : “J’apprécie Silence on lit car c’est un moment calme et détendu avant de reprendre le travail. Pendant 15 minutes de lecture nous lisons dans le silence un livre que nous choisissons, nous nous détendons avant de reprendre les cours dans le calme.”
L’évaluation du dispositif reposera sur différents critères, notamment liés aux taux d’emprunteurs actifs ou occasionnels au C.D.I., le nombre d’actions menées dans l’établissement autour de la lecture, l’investissement des élèves dans la lecture d’œuvres intégrales imposées, et éventuellement une corrélation (que je pense discutable) entre Silence on lit et l’amélioration des connaissances en orthographe des élèves.
A l’heure actuelle les élèves du Conseil de la Vie collégienne sont chargés de réfléchir aux aménagements des espaces que Silence on lit pourrait induire. Les prises en charge des élèves pendant leurs heures d’étude ont déjà fait l’objet d’une évolution : les permanences se dérouleront dans une salle où différents espaces dédiés, dont l’un à la lecture silencieuse, ont été pensés et installés.
Témoignage de Mme Huraux, Conseillère Principale d’Education :
Depuis la mise en place du dispositif « Silence on lit », l’équipe de vie scolaire et moi-même remarquons de réels changements de comportement de nos élèves. A 14h, lorsque «Silence on lit» débute, les élèves ont pris l’habitude de s’installer et de sortir leur livre. Cette activité est devenue une habitude. C’est un moment de calme qui fait retomber toute l’excitation générée par la pause méridienne et qui favorise la reprise du travail scolaire (devoirs, leçons…)
Nous remarquons aussi que la lecture se fait par plaisir: en étude, lorsque les élèves ont peu de travail ils n’hésitent pas à prendre leur livre et lire quelques pages, chose qu’ils ne faisaient pas avant.
Aujourd’hui, cette activité s’inscrit totalement dans leur quotidien et ils prennent plaisir à échanger leurs lectures, à en parler ensemble. C’est une expérience en tous points positive pour nos élèves.”